juillet 2018

Colosses aux pieds de sable

Compter les grains de sable de nos plages sera-t-il un jour nécessaire ? Surconsommée, la ressource s’épuise. En réponse, l’extraction s’intensifie et se déplace dans des zones de plus en plus sensibles, multipliant les impacts environnementaux et générant de nouveaux commerces hors la loi.

Sous les dalles, le sable

Dans nos fenêtres, nos smartphones, parfois même nos cosmétiques, le sable est omniprésent dans nos vies. Mais surtout dans nos murs puisque le sable est le composant principal du béton.

Construire nos villes serait ainsi la principale source d’utilisation des 15 milliards de tonnes de sable extraites chaque année, nous apprend le Centre d’études stratégiques de la Marine française. Avec la pression démographique et l’urbanisation galopante, la Chine aurait utilisé en l’espace de 4 ans autant de sable que les États-Unis en un siècle.

De plus en plus de fournisseurs se positionnent sur ce marché florissant, mais l’extraction régulée ne suffit plus : selon l’article de la revue Finance & Développement, 45% du sable consommé dans le monde serait désormais « volé » ou issu de réseaux mafieux.

Les carrières de sable s’épuisent, et le sable des déserts, poli par les vents, est quant à lui inutilisable pour le béton. Afin d’étancher notre soif de sable, les fonds marins sont le nouvel eldorado.

Le grain de sable

Si extraire du sable des fonds marins pourrait sembler peu impactant à première vue, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) nous informe dans ce rapport qu’il n’en est rien.

En pleine mer tout d’abord, le dragage du sable a des impacts similaires à ceux de la pêche utilisant la même méthode : il perturbe les écosystèmes en détruisant tant les organismes que leurs habitats, ce qui entraîne une diminution, voire la disparition, de la faune et de la flore marines. Le rejet des particules de sables trop fines trouble l’eau et déséquilibre encore un peu plus les écosystèmes, parfois sur des kilomètres.

Les impacts se font ressentir jusque sur nos côtes, notamment parce que l’extraction se réalise au plus près des littoraux afin d’en réduire les coûts au maximum. En prélevant sur l’avant-plage, l’extraction engendre mécaniquement une avancée de la mer et une réduction des plages : le PNUE estime ainsi que 70 à 90% des plages du monde seraient aujourd’hui en recul, à cause notamment de l’exploitation du sable des fonds marins.

Le PNUE souligne enfin que ce phénomène peut conduire à des situations ubuesques où des villes comme Malé dans les Maldives prélèvent du sable pour se développer, alors que l’érosion menace directement les plages avoisinantes.

Marchands de sable

Alors qu’elles n’étaient que 10 en 1990, les « mégavilles » sont aujourd’hui au nombre de 28 sur l’ensemble de la planète. Parmi elles, Singapour. La ville-État est la plus grosse consommatrice de sable au monde : 517 millions de tonnes en 20 ans pour s’étendre, jusque sur la mer.

Or, selon l’ONG Global Witness les importations singapouriennes posent problème : après la disparition supposée de 24 îles en Indonésie due à l’extraction de sable, le Cambodge subit ces dernières années les conséquences des appétits expansionnistes de son voisin. L’ONG déplore depuis 2009 qu’aucune régulation ni normes sociales ou environnementales ne viennent encadrer l’extraction de sable au Cambodge. Il n’y a également aucun suivi des taxes ou autres revenus générés par cette nouvelle activité, alors que 800 000 tonnes de sable seraient extraites chaque mois pour une valeur pouvant osciller entre 30 et 250 millions de dollars par an, selon l’ONG.

À défaut de preuves formelles, Global Witness dénonce des risques de fraude ou de corruption, qui semblent se confirmer avec la note datant de 2016 du cabinet de conseil en gestion de risque MLex. Ce dernier relève en effet que la base de données des Nations Unies compte 72 millions de tonnes de sable importées par Singapour depuis le Cambodge entre 2007 et 2015, alors que le gouvernement cambodgien n’en comptabilise que… 3 millions. Un écart qui pourrait représenter jusqu’à 750 millions de dollars de fraudes.

Si le scandale lié à cette information a conduit le gouvernement cambodgien à interdire les exportations à destination de Singapour, MLex nous apprend que des navires continuent d’extraire du sable cambodgien tous les jours… Mais pour qui ?

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