octobre 2018

La fin des cabillauds ?

Papillotes de saumon, lotte à l’américaine et autres bouillabaisses sont-elles condamnées – de force – aux oubliettes de nos assiettes ? Les habitants de la terre consomment toujours plus de produits de la mer. La part des espèces surpêchées croit et les ressources s’épuisent, éloignant des côtes les bateaux à bord desquels les conditions de travail empirent.

Une pêche durable, soutenable écologiquement et respectueuse des droits humains, reste encore à inventer.

La multiplication des poissons

Depuis 1961, la consommation de poissons et crustacés par habitant a doublé pour atteindre 20kg en 2015 nous apprend la Food and Agriculture Organization (FAO) dans son état des lieux annuel de la pêche dans le monde. L’amélioration des chaînes d’approvisionnement et de distribution y est pour beaucoup : rendus plus disponibles, les produits de la mer deviennent plus consommés.

Logiquement, la production (pêche et aquaculture confondues) destinée à la consommation humaine a suivi et atteignait 150 millions de tonnes en 2016. La pêche représente à elle-seule la moitié des volumes et se concentre sur quelques espèces souvent aux menus de nos repas : thons, anchois, sardines et cabillauds.

Menés par les leaders incontestés que sont la Chine et l’Indonésie, les pays asiatiques réalisent aujourd’hui le gros de la production. En 2015, ils employaient 85% des travailleurs et consommaient plus de 60% de la production mondiale annuelle.

Cette pression croissante de la consommation sur la production n’est pas sans impact.

L'environnement et les droits humains dans le même bateau

Au fur et à mesure que notre appétit pour les produits de la mer s’aiguisait, la production se devait de suivre. La pêche notamment a développé de nouvelles pratiques (certaines largement décriées comme la pêche électrique) afin de sortir toujours plus d’animaux des fonds marins : la FAO estime ainsi qu’en 2015 seulement 66% des ressources halieutiques étaient pêchées dans des conditions écologiquement soutenables, contre 90% au milieu des années 1970. En mer Méditerranée, ce chiffre tombait à 38%.

Au-delà de la catastrophe écologique en cours, la pêche intensive et la surpêche ayant provoqué une baisse des stocks de poissons présents dans les zones côtières, Laura Van Voorhes décrypte le cercle vicieux qui s’enclenche pour les travailleurs : les bateaux doivent s’aventurer plus loin en haute mer, ce qui leur coûte cher notamment en carburant et les incitent à réduire encore plus la part du travail dans leurs coûts de production.

Résultat : les conditions de travail sur ces bateaux empirent dans un secteur déjà très décrié pour ses pratiques à la limite de l’esclavage. Une évolution que dénonce notamment l’Organisation internationale du travail (OIT). Sa dernière enquête (janvier 2018) conduite sur des centaines de bateaux de pêche thaïlandais compile ainsi les constats et témoignages accablants : main d’oeuvre illégale (sans papier ou mineurs), sous-rémunération, privations de nourriture et violences physiques… loin des côtes, les normes nationales et internationales restent très abstraites.

Haro sur le hareng : pour pêcher durablement demain

Au vu des imbrications entre enjeux environnementaux et impacts sociaux, les porteurs de plaidoyer, et notamment les ONGs, proposent des solutions pour une pêche durable liant étroitement ces deux aspects.

Pour l’ONG FishWise, cela passe par une traçabilité tout le long de la chaîne d’approvisionnement. Bien qu’elle admette que cela soit compliqué à mettre en place dans une industrie désormais internationalisée et très fragmentée, FishWise souligne la nécessité d’identifier tous les acteurs de chaque chaîne (impliqués dans la pêche comme la transformation) afin de pouvoir éradiquer tant les pratiques violant les droits humains que celles écologiquement insoutenables.

En complément, une autre ONG, Our Fish, interpelle les institutions internationales régulatrices comme l’Union européenne pour les inciter à aller plus loin que la fixation de quotas de pêche. Selon l’ONG, la régulation européenne actuelle établissant une taille minimale pour le cabillaud pêché n’aurait pas réduit les prélèvements mais plutôt augmenté les rejets des petits poissons, ne faisant alors qu’empirer le problème qu’elle était supposée résoudre.

Pour Our Fish, les quotas ne sont pas une fin en soi mais un outil pour réguler l’existant et surtout favoriser le développement de filières de pêches plus respectueuses de l’environnement et des ressources halieutiques. Ainsi, plutôt que d’être établis au niveau national, les quotas pourraient être différenciés entre entreprises en fonction de leurs pratiques de pêches et de leurs impacts environnementaux.

Les axes de plaidoyer sont nombreux, mais convergent vers un même point : pour satisfaire nos appétits en produits iodés tout en pérennisant les ressources, il va falloir pêcher moins et mieux.

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