décembre 2017

The Great Escape

Longtemps le pré-carré d’une poignée d’initiés, la fiscalité des multinationales est de plus en plus débattue dans l’espace public car elle est un pilier fondamental des ressources de l’État. Retour sur la naissance d’un enjeu de société.

Les multinationales responsables…

Les preuves s’accumulant sur les habiles pratiques d’évasion fiscale des multinationales, le Fonds Monétaire International (FMI) a reconnu en 2011 qu’elles représentaient un défi pour les administrations fiscales de tous les pays.

L’OCDE estime ainsi que les pays en développement perdent l’équivalent de 3 fois ce qui leur est accordé en aide au développement à cause des mécanismes d’évasion fiscale qui privent les États de ressources fiscales, dans un contexte de crise économique sans fin et de politiques d’austérité qui asphyxient les services publics.

Le rapport du CCFD de 2013 s’attaque à dresser la liste des multinationales qui ont des filiales dans des paradis fiscaux. Certes, cela n’est pas une preuve formelle d’évasion fiscale, mais la coïncidence et les chiffres posent question : sur les 50 premières multinationales européennes, toutes ont des filiales dans les paradis fiscaux (européens à 63%), en moyenne 117 chacune soit 29% de la totalité de leurs filiales étrangères.

À méditer : l’évasion fiscale ne coûterait pas moins de 1 000 milliards d’euros aux citoyens européens.

…Mais pas coupables ?

Ces accusations sont réfutées par les multinationales qui prétendent contribuer aux ressources des États bien au-delà des impôts pointés du doigt par la société civile dans les rapports sur l’évasion fiscale. Pour cela, elles peuvent s’appuyer depuis 2005 sur le Total Tax Contribution, un indicateur créé par PriceWaterhouseCoopers (PwC), l’un des cabinets de conseil aux entreprises les plus influents au monde : cet indicateur permet aux entreprises de valoriser l’intégralité de leurs contributions fiscales : impôts, taxes et autres prélèvements fiscaux.

Dix ans plus tard, PwC publie pour la Banque mondiale son rapport Paying Taxes 2016, une rétrospective analytique sur 189 économies dans le monde. Si le rapport démontre en effet que les multinationales contribuent aux ressources fiscales de ces économies, il montre aussi que le Total Tax Rate est en constante diminution : d’environ 53% en 2004, il est désormais de 40,8% en 2014.

Là où la société civile pointait du doigt les répercussions sociales et économiques des pratiques visant à exploiter plus ou moins légalement les failles du système fiscal pour se soustraire à l’impôt sur les bénéfices, les multinationales répondent en agrégeant sous un même indicateur l’ensemble de leurs prélèvements fiscaux.

En additionnant pêle-mêle les cotisations pour la santé et la retraite des employés, les taxes de collecte des ordures, l’impôt sur les bénéfices etc., l’indicateur de PWC exagère le « poids » des prélèvements fiscaux là où d’autres rapports notamment ceux de FMI les distinguent clairement. De plus, le rapport de PwC établit une hiérarchisation des systèmes fiscaux, dans la lignée des rapports Doing Business de la Banque mondiale, accentuant une mise en concurrence des régions du monde sur la base de leur taux d’imposition alors que les recherches de l’OCDE et du FMI n’établissent aucune corrélation formelle entre cadeaux fiscaux et investissements étrangers.

Enfin, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) a demandé à ce que soient arrêtées les comparaisons entre pays et régions du monde des coûts et de la flexibilité du marché du travail qui favoriseraient l’exploitation des populations des pays moins-disant.

La transparence à l'état brut

Un premier pas décisif a été franchi avec la directive européenne de 2013 obligeant les industries du secteur extractif (pétrole, mine, gaz et forêt) à déclarer les paiements effectués auprès des États où elles exploitent les ressources. La France a été le 2ème pays européen après le Royaume-Uni à transposer cette directive, et les entreprises françaises du secteur extractif ont ainsi déclaré pour la toute première fois leurs paiements en 2016. Paiements qui ont été passés au peigne fin et confrontés aux déclarations des États bénéficiaires par le collectif Publiez ce que vous payez en collaboration avec le Basic.

Résultat : la difficulté d’accès aux données, l’absence d’informations contextuelles, ainsi que certaines failles dans la transposition de la directive européenne rendent difficiles la compréhension et la comparaison des déclarations.

Toutefois, ces publications témoignent d’un progrès dans la gouvernance du secteur, et elles ont facilité l’analyse des activités de Total en Angola et d’Areva au Niger.

Précédents débats

janvier 2020

Avant la retraite

décembre 2019

Consommation : le changement, c’est maintenant (?)

octobre 2019

États ou entreprises, qui est le plus puissant ?

octobre 2019

Derrière les fûts de bière

juillet 2019

La mobilité en (petites) roues libres

juin 2019

Cahier de vacances

mai 2019

(bio)Diversité d’indicateurs

avril 2019

Le vin et ses (des)accords

mars 2019

Caoutchouc cornélien

février 2019

Chroniques d’appellations non contrôlées