Etude des impacts environnementaux, sociaux et sanitaires de la chaine de production des téléphones portables, de l’extraction au recyclage.

Travail étudiant réalisé par Yaroslav Kroutchinin et Louise-Anne Baudrier (Sciences Po Paris, Clinique du droit, 2019).

Contexte et évolution

Figure 1. Quatre tours du monde pour fabriquer un smartphone Source : France Nature Environnement, Un téléphone pas si smart pour l’environnement, 2017
Figure 2. Evolution de la production de smartphone (2007-2016).
Source : Jardim Elizabeth, From Smart to Senseless : The Global Impact of 10 Years of Smartphones, Greenpeace, 2017, p.2

Schématiquement, un téléphone portable est composé de :

  • Une coque (matières plastiques)
  • Un écran (europium, l’yttrium, le terbium, le gallium…)
  • Une batterie (lithium, cobalt, or et électrolyte fluoré)
  • Une carte électronique (métaux précieux, terres rares, matières plastiques et fibres de verre)

La vente de téléphone portable est en constante hausse depuis 2007, ce qui représente un coût environnemental considérable. De surcroît, la tendance est d’augmenter toujours plus la taille de l’écran, la qualité et la définition de la caméra, ou encore les capacités du téléphone portable. Les nouvelles générations de téléphones portables sont ainsi davantage néfastes, et ce notamment dans leur fabrication. Récolter des informations sur les impacts concrets de la chaîne de production des téléphones portables, de l’extraction à la consommation est très complexe. En effet, d’une part, l’appareil en lui-même est complexe donc difficile à décortiquer, et d’autre part, cette collecte est soumise à la volonté des fabricants de communiquer la liste de leurs sous-traitants. Or, celle-ci est souvent protégée au nom du secret industriel (Bolis, 2016).

Figure 3. Empreinte énergétique des smartphones depuis 2007.
Source : Jardim, Elizabeth, From Smart to senseless: The Global Impact of 10 Years of Smartphones, Greenpeace, 2017, p. 5.

L’association Les Amis de la Terre soulignent que les caractéristiques du secteur de l’électronique sont de vrais obstacles pour mener des actions et obtenir des améliorations réelles en termes de justice environnementale et sociale. Le caractère très compétitif du secteur conduit à un nivellement par le bas des conditions environnementales et sociales. Les acteurs sont engagés dans une recherche permanente de diminution des coûts pour rester dans la « course ». Il est donc difficile d’amener un acteur à modifier ses pratiques individuellement. Il faut donc agir sur plusieurs acteurs en même temps. L’existence de barrières (coûts de R&D par exemple) à l’entrée du marché des smartphones a contribué à la formation d’un oligopole sur celui-ci.

Cette structure de marché particulière, différente du monopole ou de la concurrence, se caractérise par la présence d’un faible nombre d’entreprises disposant généralement d’un pouvoir de marché. Ces entreprises (Apple, Samsung, Motorola, Sony, Microsoft, Huawei, Xiaomi) déjà en place n’ont par conséquent pas d’intérêt à faire évoluer leurs pratiques. Le marketing agressif auquel elles se livrent engendre une clientèle captive : les consommateurs sont dépendants de ces entreprises, et ne se montrent pas sensibles aux violations des normes et des règles environnementales et sociales, malgré leur médiatisation régulière.

Nourries par la situation d’oligopole, les capacités financières et matérielles très importantes des multinationales induisent de plus un rapport de force asymétrique avec des ONG aux moyens limités. Enfin, c’est un secteur fragmenté verticalement (sous-traitance) où, d’une part, les acteurs multinationaux sont difficiles à identifier et donc à interpeller, et où, d’autre part, les innovations technologiques récurrentes empêchent une bonne compréhension de la complexité des produits.

Enjeux économiques

Figure 4. Origine des matériaux servant à produire les téléphones portables. Source : Commission Européenne Mémo 14/377, 26 mai 2014

Les téléphones portables sont fabriqués à partir de matières plastiques, de verre mais aussi de ressources rares comme les terres rares, les métaux précieux et les minerais. De nombreuses ONG – comme Amis de la Terre, Global Witness, Amnesty, ISF Systext et autres – dénoncent en particulier l’exploitation des minerais de conflit (le tantale, l’étain, l’or et le tungstène) violant les droits humains. Ces mines « artisanales » sont dans des zones contrôlées par des groupes rebelles et non pas par les Etats. Ces minerais sont donc extraits dans des zones de conflit ou à hauts risques, principalement en République Démocratique du Congo (RDC), ce qui contribue à l’instabilité du pays . Il faudrait ajouter le cobalt, non officiellement classé comme minerai du conflit mais qui est également extrait dans des conditions sociales et environnementales catastrophiques.

Figure 5. Des enfants dans une mine à ciel ouvert au Katanga, en RDC, le 9 juillet 2010
Source : Gwenn Dubourthoumieu/AFP

Ces mines sont au centre des préoccupations internationales notamment car les groupes armés ou rebelles qui les contrôlent se financent parle commerce de minerais. Pour Amnesty International, dans ces zones les minerais sont les causes même des conflits et cela contribue aussi à perpétuer les autres conflits qui affectent la région. Enfin, la corruption est aussi dénoncée par les organisations internationales pour souligner la nécessité d’une meilleure réglementation du commerce de ces minerais.

Enjeux environnementaux

Figure 6. LA RDC, en Afrique centrale, produit plus de la moitié du cobalt mondial Source : Glencore

L’extraction de terres rares a un lourd impact environnemental (UNEP, 2016). Cela mène à un épuisement des ressources non renouvelables mais aussi à une destruction progressive des écosystèmes (forêts, vallées) et de la faune. De plus, cette exploitation minière contribue à la pollution de l’air, du sol et de l’eau. L’UNESCO dénonçait par exemple l’utilisation du néodyme et du cuivre dans les aimants des téléphones portables : leur extraction implique une consommation d’eau considérable, et la production de néodyme engendre des déchets radioactifs.. Cela peut alors mener à une forte détérioration des nappes phréatiques et des champs avoisinants. Au Chili, l’extraction du lithium, parfois considéré comme le « nouvel or blanc », met gravement en danger les ressources en eau d’une des régions les plus arides au monde (Les dessous de la High-Tech 2019). En Indonésie, c’est l’extraction de l’étain qui engendre la dégradation accélérée de l’environnement (forêts, rivières, coraux). Enfin c’est en Chine que se déroule la majeure partie de l’exploitation mondiale de terres rares, en raison de l’existence de ressources importantes et de normes environnementales et sociales peu exigeantes. Chaque année de nombreux mineurs chinois meurent lors de l’extraction des terres rares alors que « l’Europe, les Etats-Unis et le Japon font pression sur la China pour qu’elle augmente ses quotas d’exportation de terres rares. » (Les dessous de la High-Tech 2019)


Figure 7. Pourcentages des différents groupes de métaux dans un smartphone, issus du recyclage (vert) ou d’une production primaire (rouge).
Source : Friends of the Earth France, lesdessousdelatech.com
Enjeux sociaux

Les minerais nécessaires à la fabrication des téléphones portables sont souvent extraits dans des conditions de travail extrêmement dangereuses pour les travailleurs. Amnesty International a publié des rapports dénonçant le travail forcé, notamment des enfants, ou encore les discriminations récurrentes sur ces sites d’exploitation.

Figure 8. Les mineurs utilisent une corde fixée à une poutre placée en travers de l’entrée du puit qui sert d’appui pour descendre dans le puit, Mai 2015 Amnesty International et Afrewatch
Source : Amnesty International and Afrewatch

Le niveau des salaires ne permet pas aux travailleurs de couvrir leurs besoins de base, de participer pleinement à la société́ et de vivre dignement. A la précarité financière s’ajoute également une insécurité physique : les normes de sécurité sont en effet souvent négligées et de nombreux accidents mortels sont à déplorer, à hauteur de plusieurs centaines par an en RDC d’après Amnesty International (2015).

Figure 9. Les mineurs sortent de la mine en plaçant leurs mains et leurs pieds dans les parois du puit, Mai 2015.
Source : ©Amnesty International et Afrewatch

Enfin, l’extraction de minerais modifie en profondeur la structure de la société. Traditionnellement nomades, ces populations deviennent sédentaires, ce qui engendre une perte de repère et le développement de nouveaux fléaux tels que l’alcoolisme et la prostitution.

Enjeux sanitaires

Figure 10. Mineurs de coltan, RDC. Source : © Emmanuel Freudenthal/IRIN)

Outre les conditions sociales médiocres, les conditions sécuritaires et hygiéniques sont également insuffisantes. Les ONG tels qu’Oxfam et Amnesty International, dénoncent les violations fréquentes des normes en matière de sécurité et d’hygiène. Par exemple, l’accès à l’eau et aux services sanitaires est limité. De plus, la plupart des travailleurs ne disposent pas de matériel de protection. C’est le cas au Pérou et en Bolivie où les mineurs souffrent de maladies respiratoires graves et les ressources en eau des habitants sont empoisonnées. A Baotou, en Mongolie intérieure au nord de la Chine, un lac de près de 10km² est utilisé par les usines pour déverser des eaux chargées de produits chimiques, ce qui affecte les cultures et les troupeaux alentours. Les paysans ont fui en raison du danger sanitaire pour eux et leurs bêtes.

Cette insécurité peut avoir des conséquences graves sur la santé des populations locales. Certaines ONG ont révélé des cas fréquents d’asthme, de dermatite de contact, ou encore de cancers (CAPCM).

Enjeux économiques

Figure 12. Violations du droit du travail observées dans la moitié ou plus des cas depuis 14 ans. Source : Nicky Lisa Cole, 2016

Entre les phases d’extraction et d’assemblage des minéraux, d’autres acteurs moins visibles (ci-dessous nous faisons un focus sur deux zones) jouent un rôle primordial dans la chaîne de production (Geerts, 2011) :

  • Les transporteurs basés sur les territoires d’extraction. Ils agissent souvent illégalement sans licence et sans payer les frais d’enregistrement. Ils auraient récolté environ 75 millions de dollars sur les 180 millions de dollars obtenus par les groupes armés pour l’extraction des minerais (Geerts, 2011).
  • Les raffineurs, situés principalement au Moyen-Orient, transforment les minerais en métal par la fusion ou l’alliage, avant de les vendre aux entreprises sous-traitantes. Cette étape de la chaine rend souvent impossible la traçabilité des métaux, les minerais du monde entier étant mélangés. Pour la chaîne d’approvisionnement du cobalt les affineurs sont souvent en Chine d’après Amnesty International.

Le développement suivant portera sur l’étape de transformation et se concentra davantage sur les travailleurs assemblant les téléphones portables. Ils représentent jusqu’à 94% des acteurs de la chaîne de production (ITUC, 2016 p.4) et les usines dans lesquelles ils travaillent se situent souvent en Asie, alors que la valeur économique est concentrée aux USA et en Europe, souvent liée aux brevets et actionnariats.

Figure 11. Manifestation
Source : Nicky Lisa Cole, 2016
Enjeux environnementaux

La fabrication des composants électroniques d’un smartphone nécessite en particulier l’utilisation de métaux dits « rares ». Les métaux rares sont des métaux produits en faible quantité d’usage postérieur aux années 1970 et ayant une grande importance économique en particulier pour les nouveaux secteurs industriels (électronique, les énergies renouvelables, etc.). Les conséquences de leur extraction, médiatisées depuis quelques années, s’observent principalement dans des pays ou régions « en développement ».

  • La période de fabrication des smartphones concentre 3/4 de leurs impacts environnementaux
  • La distribution et l’utilisation des smartphones ont moins de conséquences sur l’environnement. Ces conséquences sont dues au transport et à la production d’électricité.

En Chine, l’exploitation des terres rares près de la ville de Baotou a par exemple cristallisé l’attention : les déchets radioactifs de l’exploitation minière sont stockés à l’air libre, exposés au vent et à la pluie, et les entreprises avoisinantes, spécialisées dans le traitement des terres rares, rejettent des eaux radioactives dans un lac artificiel. Cela a eu pour effet de rendre les terres environnantes incultes, de polluer les nappes phréatiques, alors que le manque de recherche sur l’état de santé de la population environnante comme des travailleurs ne permet pas d’évaluer l’ampleur réelle de l’impact de cette pollution (seul quelque cas de cancers officiellement diagnostiqués).

Selon un rapport de France Nature Environnement (FNE) et de l’Agence de l’Environnement et de la Maitrise de l’Energie (ADEME), l’extraction de ces métaux rares détruit ainsi les écosystèmes, et pollue les sols, l’eau et l’air.

Le rapport note également qu’une fois les composants électroniques produits, lors de l’étape de l’assemblage, l’impact environnemental se situe surtout au niveau de l’énergie consommée pour le transport des matériaux.

De plus, l’étude fait remarquer que les impacts environnementaux sont fonction croissante de la taille des écrans, à l’heure où la tendance est précisément à l’augmentation de leur taille. De la même manière, le nombre croissant de fonctionnalités dont disposent les smartphones, comme la variété des modes de connexion ou la haute définition de l’appareil photo, contribue à accroître les conséquences de ces appareils sur l’environnement.

Enjeux sociaux

Figure 13. Manifestations contre les conditions de travail dans les usines Samsung. Source : ITUC (2016)

Dans les usines d’assemblage, les conditions de travail constituent les principales violations des droits de l’homme (SACOM, 2012). En effet, le salaire perçu ne permet pas de satisfaire les besoins fondamentaux des travailleurs ainsi que ceux de leur famille. De surcroit, des retenues sont fréquemment décidées en cas d’erreur ou de manque de productivité. Par ailleurs, des cas de travail forcé sont régulièrement répertoriés.

Figure 14. Travailleurs de Foxconn.
Source : L’expansion, L’Express (2016)

Les femmes et les enfants sont particulièrement vulnérables face à ces phénomènes. La mobilité salariale limitée est également soulignée par les ONG. Enfin, le système d’assurance sociale limité ne permet pas aux travailleurs de bénéficier de cotisations retraite ni d’aucune aide sociale.

Enjeux sanitaires

Figure 15. Travailleurs en usine. Source : ITUC, 2016

La confédération internationale syndicale et Industri’All dénoncent l’impact de ces conditions sur la santé des travailleurs (ITUC, 2016). En effet, en manipulant des produits chimiques, les travailleurs inhalent des gaz toxiques. Par conséquent, ils contractent des maladies pulmonaires et les apparitions de cancer sont fréquentes. De plus, la mauvaise ventilation contribue à une température élevée, ce qui, additionné au bruit des machine, augmente les risques d‘étourdissements. Face à ces dangers, les travailleurs sont rarement formés et peu incités à prendre des précautions. Enfin, les indemnisations sociales ne couvrent pas suffisamment les accidents du travail.

Enjeux économiques

L’usage d’un téléphone portable a un impact environnemental, mais aussi social et sanitaire. L’association Les Robins des Toits, qui lutte contre les technologies sans-fil considérées comme potentiellement dangereuses (compteurs Linky, réseau 5G), a montré la dangerosité des ondes pour le consommateur ou encore la toxicité des composants. D’autre part, de plus en plus d’associations mettent en avant les risques en ce qui concerne les données personnelles de l’usager.

Les smartphones posent de nombreux problèmes pour leur recyclage. Les téléphones portables ne sont pas conçus pour être recyclés (batteries collées ou soudées, pas de pièces de rechange, utilisation de systèmes d’exploitation exclusifs…). Seules les cartes électroniques et les écrans peuvent être recyclés pour récupérer les métaux précieux. Cependant, la miniaturisation, pour que le téléphone puisse sans cesse faire plus de choses tout en tenant dans la paume de ma main, implique l’utilisation de quantités infimes de chaque métal qu’il est ensuite extrêmement difficile de séparer. C’est un frein à la récupération et au recyclage des métaux.

Figure 16. Poids en pourcentages des métaux contenus dans un téléphone portable.
Source : Oeko-Institut, Ecoinfo and Senate

Le processus de recyclage est particulièrement complexe, il se divise en diverses étapes :

  • La collecte par les éco-organismes, les magasins et les déchèteries des téléphones portables qui sont acheminés vers les centres de traitement
  • Le tri de la carte électronique, la coque et les autres composants
  • La séparation des métaux précieux (argent, or, cuivre, platine…) et polluants (arsenic, nickel) par traitement thermique
  • Le broyage des métaux précieux transformés en poudre noire puis placés dans un four à 900C°
  • La séparation des métaux dans les bains chimiques, qui ne permet cependant pas de séparer tous les métaux. Certains métaux rares utilisés en quantité trop infimes pourront seulement être absorbés par un métal majoritaire. Il y a donc une perte sèche de matière première.

Il est actuellement beaucoup plus cher pour une entreprise de recycler un téléphone portable ou d’utiliser des matériaux recyclés que d’extraire de nouvelles ressources. En effet, il y a des coûts fixes importants en termes de R&D et de collecte des matériaux. L’approvisionnement est très irrégulier en raison des changements réguliers de la conception des produits et des technologies. La filière du recyclage des téléphones portables est dans une véritable impasse financière actuellement. La spéculation sur les prix et les fluctuations des cours des métaux vierges réduisent d’autant plus le rendement du recyclage. Enfin en l’absence quasi-totale de standards environnementaux et sociaux dans les pays d’extraction des terres rares, le dumping sur les prix incite à négliger le recyclage.

Enjeux environnementaux

Au-delà de 5 ans d’utilisation, la pollution occasionnée par l’utilisation du téléphone portable devient « plus élevée que celle issue de sa fabrication » (Charbuillet, 2017)

 

 

Lors de l’usage du téléphone portable, l’atteinte à l’environnement est principalement due à l’énergie consommée pour la recharge ou pour la connexion sur les réseaux.

Mais un autre phénomène a également un lourd impact environnemental. En effet, des cargaisons d’appareils hors d’usage sont envoyées dans les pays en développement pour que ces derniers soient recyclés et réutilisés. Ce geste “humanitaire” conduit au développement du trafic illégal des “e-déchets. Les appareils sont alors entassés puis brûlés dans des villages, dits “poubelles électroniques”. Ce processus détruit les écosystèmes, pollue l’eau,les nappes phréatiques  et les sols.

D’autre part, la convention de Bâle a été signée en 1989 afin de réguler l’exportation de déchets dangereux, en particulier afin d’éviter le transfert de déchets dangereux vers les pays en développement. Cozima Danonitzer a montré dans ses deux documentaires, Prêt-à-jeter – L’obsolescence programmée (2011) et La tragédie électronique (2015) le manque de moyens alloués aux douanes européennes pour contrôler le transport international des déchets dangereux.

Enjeux sociaux

Plus de 100 000 personnes travaillent dans des décharges plastiques, principalement des femmes et des enfants, payés environ 1,50€ par jour.

La filière de production des téléphones portables est intimement liée aux fabricants des systèmes d’exploitation des smartphones. Or ceux-ci ont été plusieurs fois critiqués pour le manque de protection des données personnelles des usagers. Cependant cela n’entre pas dans le cadre de ce dossier.

Lors de l’étape du recyclage, l’impact social n’est pas négligeable. En effet les “ ferrailleurs du high-tech”, notamment en Inde, travaillent dans des conditions très dangereuses pour leur santé. Leur mission est de démonter les téléphones portables pour récupérer les métaux (fils de cuivre) puis de les traiter pour les revendre. Le e-waste, les déchets électroniques sont encore en grande partie déversés dans les pays les plus pauvres, notamment le Nigéria et le Ghana, mais également la Chine.

Enjeux sanitaires

 

  • Les eaux usées récupérées sont vidées directement dans le fleuve. (Danonitzer, 2015)
  • Sans aucune protection respiratoire, les ouvriers inhalent le gaz acide des vapeurs de chlore et d’anhydride sulfureux toute la journée.

L’usager peut être victime des ondes du fait de la toxicité des matières composant les téléphones portables. Bien que le débat reste entier concernant les conséquences de ce produit sur la santé des usagers (BioInitiative), une majorité de la communauté internationale admet l’impact sanitaire direct des téléphones portables.

Certaines ONG telles que Greenpeace ou BIOINITIATIVE dénoncent les effets à long terme des téléphones portables menant au développement de perturbations physiologiques (expression des protéines ou régulations membranaires), d’altérations dans les séquences d’ADN ou même au déclenchement de leucémie, de cancers enfantins. L’OMS aussi a classé les ondes électromagnétiques type GSM et Wi-fi comme « possiblement cancérigènes «  (Robin des Toits). Enfin l’exposition et la combustion quotidienne de substances toxiques peuvent entraîner des dommages nerveux, sanguins et reproductifs ainsi que des problèmes d’ordre respiratoire, cardiovasculaire ou dermatologique (Brigden, p.8).

Internationale

L’Organisation internationale du Travail a établi huit conventions fondamentales, s’appliquant aux travailleurs de la chaine de production des téléphones portables. Par exemple, la RDC fait partie de la Convention N°182 sur les pires formes de travail des enfants exigeant des gouvernements d’assurer l’interdiction et l’élimination des pires formes de travail des enfants. Cela concerne notamment les situations “qui, par leur nature ou les conditions dans lesquelles elles s’exercent, sont susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité́ ou à la moralité́ de l’enfant” (Convention N°182).

L’Organisation des Nations Unies a également établi une convention relative aux droits de l’enfant. Le programme des Nations Unies pour le Développement mène aussi des études sur le travail en présence de déchets toxiques et ses conséquences sanitaires.

Enfin, la convention de Bâle, entrée en vigueur en 1992, interdit tout échange de déchets contenant des substances toxiques vers les pays en développement.

En 2011, les Nations Unies ont adopté des principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme. Ces principes ont vocation à s’appliquer en cas de conflit de loi avec des normes nationales.

Les Amis de la Terre soutiennent activement le projet de traité international de l’ONU visant à imposer des obligations aux entreprises en termes de respect des droits de l’homme (the Zero Draft Treaty). Réglementer à l’échelle internationale permettrait de réglementer le secteur en général ainsi que de contraindre les Etats. Néanmoins, Les Amis de la Terre considèrent que les cadres législatifs régional et international sont difficilement modifiables et que ce ne sont pas les échelles d’action à privilégier.

Nationale

En France, la loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordres impose à ces dernières l’élaboration d’un plan de vigilance qui doit être rendu public. Selon l’article premier, ce plan doit comporter des mesures « de vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes, ainsi que l’environnement ».

En votant cette loi, la France est le premier pays à imposer un devoir de vigilance contraignant les entreprises à assurer le respect des normes sociales et environnementales dans le cadre de leurs activités. Néanmoins, cette loi ne concerne que les sociétés par actions employant, en leur sein ou dans leurs filiales, au moins 5 000 salariés en France ou au moins 10 000 salariés dans le monde. Par conséquent les multinationales de l’électronique ne sont pas soumises à la loi sur le devoir de vigilance, puisque les sociétés mères d’Apple, d’Amazon ou de Samsung emploient moins de 5 000 employés en France. À titre d’exemple, Apple emploie environ 2 000 salariés tandis que le reste des employés travaille pour des franchises. D’après les Amis de la Terre, si les termes de la loi sont interprétés en prenant en compte les filiales ou les distributeurs, alors cette loi pourrait s’appliquer et être activée pour contraindre ces multinationales. Cette loi est donc un outil imparfait mais dont l’ONG va se saisir. En fonction de l’interprétation que fera le juge, l’ONG pourra évaluer la portée et l’efficacité de cette loi.

D’autres pays auparavant avaient pris la même initiative sans aller jusqu’à un système de sanctions systématiques : c’est le cas par exemple du Modern Slavery Act au Royaume-Uni.

Alternatives

Alternatives à l’échelle nationale 

Les mobilisations citoyennes peuvent avoir un impact. Par exemple, les manifestations des travailleurs chinois en 2007 ont permis une augmentation du salaire minimum, des améliorations en matière de santé et de sécurité ainsi qu’en matière de conditions de vie sur les sites. Des canaux de communication ont été mis en place pour améliorer les relations au travail, comme par exemple les comités de protection sociale des employés. Enfin, les heures supplémentaires sont désormais davantage payées (Bernard, Brachet, et Wrzoncki, 2013).

Malheureusement, l’effet de ces améliorations a été réduit par la hausse du coût de la vie. De plus, de nombreux efforts restent à poursuivre. La Chine manque d’un système d’assurance maladie et de soutien en cas de chômage et la maternité.

Alternatives à l’échelle des multinationales

Figure 18. Manifestation d’ouvriers chinois
Source : Greenpeace, 2017

Des initiatives collectives ont été entreprises afin d’établir l’origine des différents composants d’un téléphone portable. Par exemple, la Conflict-Free Sourcing Initiative est une initiative majeure de l’industrie sur les minerais de conflit. Menée par l’Electronic Industry Citizenship et la Global e-Sustainability Initiative, elle associe 120 entreprises de sept industries différentes  et vise à certifier l’absence de minerais de conflit dans la chaîne logistique des entreprises membres, en particulier au niveau des fondeurs et des raffineurs. Il est crucial d’encadrer et rendre publique la traçabilité des terres rares afin d’identifier les mines précises où a lieu l’extraction.  Il importe également de souligner que les avantages fiscaux accordés à certaines entreprises de l’industrie extractive, comme Glencore, pèsent sur les finances des Etats concernés. Par exemple, en RDC, cela prive l’Etat de son budget annuel dédié à la santé, rend impossible le versement des salaires des fonctionnaires, et crée de la pauvreté et du chômage

Certaines entreprises ont lancé des initiatives pour faire évoluer les standards sociaux de la filière, sans que cela n’ait eu d’impact réel. Par exemple, après le rapport de makeITfair en 2009, Nokia, Samsung, Motorola et LGE ont décidé de procéder à un audit afin d’examiner les conditions de travail et d’adopter des plans de mesures correctives (Nordbrand et De Hann, 2009, p.23). Nokia s’est engagé à une extraction plus pacifique des minerais en certifiant ne plus produire que des téléphones portables “dont les matériaux ne proviennent pas de mines de Coltan illégales contrôlées par des milices congolaises”. Cependant les mines contrôlées par l’Etat officiel ne garantissent pas des conditions de travail décentes en termes de rémunération et de sécurité pour les travailleurs en particulier[1].

Figure 17. Evaluation de la performance environnementale des téléphones portables par marque
Source : ITUC, 2016

Enfin, l’initiative Fairphone travaille à produire un téléphone portable composé de matériaux moins toxiques, de composants recyclables et offrant de meilleures conditions de travail pour les mineurs et les ouvriers ainsi qu’une meilleure redistribution des bénéfices dans la chaîne de valeur. Fairphone a confirmé en 2016 l’utilisation dans sa chaîne d’approvisionnement de tungstène rwandais non lié à une situation de conflit. L’entreprise reconnait qu’il est extrêmement difficile d’obtenir une certification pour certaines terres rares comme le néodyme et le lithium, seulement 2/3 des matériaux étant complètement traçables.

[1] Cash investigation, Les secrets inavouables de nos téléphones portables, 04/11/2014.

Recommandations quant à la production de portables

La recommandation 190 de l’OIT fournit des directives aux Etats parties pour déterminer les formes de travail qui peuvent compromettre la santé, la sécurité et la moralité des enfants. Par exemple, les travaux qui exposent les enfants à des sévices physiques, psychologiques ou sexuels, ou les travaux qui s’effectuent sous terre, sous l’eau, à des hauteurs dangereuses ou dans des espaces confinés. Il est crucial de penser de nouvelles mesures pour garantir le respect des normes de l’OIT.

L’agence européenne des produits chimiques conseille aux personnes de porter un équipement protecteur pour ne pas entrer en contact avec le minéral ou inhaler la poussière (AEPC).

Amis de la Terre recommande l’imposition par l’UE de standards de conception pour allonger la durée de vie des smartphones, et l’incorporation de matières premières recyclées de façon à réduire la demande de minerais.

L’ONG SOMO attire l’attention sur la nécessité d’éliminer progressivement les produits chimiques dangereux, et de réduire les produits polluants, la quantité d’énergie et d’eau utilisée pour produire un téléphone portable (SOMO). L’ONG propose la création ou la participation à des projets de traçage des minerais et à des initiatives d’exploitation minière durable d’autres minerais. Elle plaide également pour un approvisionnement responsable en minerais liés aux conflits.

Amis de la Terre soutient un projet d’encadrement des prix des matières premières.  Afin de répondre aux obligations posées par les accords internationaux sur le climat, la consommation en produits électroniques doit diminuer. Pour cela, il faut trouver un moyen de contraindre les multinationales à diminuer leurs offres afin que les consommateurs par la suite réduisent leur demande. L’idée serait de mettre en place des sortes de quotas de production. L’idéal serait, par exemple, de rédiger un traité qui aurait pour objectif d’augmenter le prix des ressources premières qui portent fortement atteinte à l’environnement en créant une taxe sur la matière première ou en imposant des quotas ou des prix planchers sur les pays importateurs et exportateurs. Cela semble très ambitieux du fait de la résistance de certains gouvernements et de lobbys. Pour cette raison, des accords bilatéraux ou encore des accords d’entreprise semblent plus faisables sur le court terme. Aujourd’hui, Apple pourrait être prêt à changer son mode de production tandis que Samsung et les autres constructeurs n’y accordent pas beaucoup d’intérêt.

Recommandations quant à l’utilisation du téléphone portable

Selon le rapport “Un téléphone pas si smart pour l’environnement” de France Nature Environnement, mieux utiliser et entretenir nos téléphones portables peut éviter jusqu’à 40% de pannes (page 6). Il est donc recommandé de protéger nos téléphones portables avec une coque et un film protecteur pour l’écran. Le laisser se reposer après une utilisation prolongée, le charger avant que la batterie ne soit vide et éviter de le recharger trop fréquemment peut également  permettre des économies d’énergie.

Recommandations quant au commerce de e-déchets

Greenpeace recommande aux entreprises productrices d’assumer la responsabilité financière de la gestion de leurs appareils obsolètes. Par exemple, Sony récupère et recycle 53% de ses appareils usagés. Il est également nécessaire d’inciter l’ensemble des pays à adopter une législation très contraignante sur la gestion des « e-déchets«  et de renforcer les moyens dévolus aux douanes.

Les Amis de la Terre recommande également d’utiliser une partie de l’éco-contribution pour financer des installations de traitement des déchets dans les pays touchés, d’adopter des règlements obligatoires de recyclage des métaux aux niveaux national et européen, et de créer des fonds d’amortissement des matières premières recyclées.

Les Amis de la Terre ont fait part de leurs inquiétudes quant à la priorité accordée au renouveau extractif (extraire d’autres matières) plutôt qu’à la réduction de la consommation de ressources et au recyclage, considérant qu’« au lieu de corriger le jeu du marché, les politiques nationales, et notamment celle de la France, contribuent à exploiter de nouvelles ressources » (Lecomte et Wittman, 2016).