juin 2019

Cahier de vacances

Avis aux vacanciers, l’été sera chaud… Mais au-delà des bouchons interminables et des glaces qui fondent trop vite, qui souffrira le plus : les humains ou l’environnement ?

Ah les touristes !

Encore championne du monde, la France ? En matière de tourisme en tout cas, les derniers chiffres annuels de la Direction Générale des Entreprises (DGE) le confirment : avec 159 milliards d’euros en 2016, soit 7,13% du PIB pour 8% des emplois, la France reste un pays majeur du tourisme et la 1ère destination au monde pour le tourisme international, devant les Etats Unis et l’Espagne. Un trio de tête identique depuis 1980.

Au-delà de cette apparente stabilité, les dépenses des touristes étrangers ont baissé suite aux attentats de 2015 et 2016, tandis que celles des touristes Français pèsent désormais pour les 2/3 de la consommation touristique sur le territoire.

Après une baisse significative liée à la crise financière (60% de la population en 2014 vs 52% en 2009), les français sont également plus nombreux à partir en vacances selon un rapport du CREDOC de 2014. Si pour les auteurs le pouvoir d’achat et le capital socio culturel restent prépondérants dans les (non) départs en vacances, ils relèvent 3 tendances émergentes : les départs hors saison (39% des partants, soit +10 points par rapport à 2008), les réservations longtemps à l’avance (36%, +11 points par rapport à 2008) et les trajets avec des compagnies aériennes « low cost » (+26%, +12 points par rapport à 2008).

Des nouvelles façons de partir en vacances qui ne remettent cependant pas en question l’importance du cadre de vie local, de la qualité des hébergements et des animations festives et culturelles dans le choix des destinations.

Face à des consommateurs de plus en plus exigeants, mais aussi à une concurrence internationale croissante, les territoires de France doivent s’organiser. C’est en tout cas ce que pensent les membres d’Alliance 46.2, un collectif créé en 2014 par 19 grandes entreprises (ACCOR, ADP, BNP, Kering, Disneyland Paris, SNCF…). Ce dernier propose aux nouvelles régions de mesurer leur performance touristique et l’attractivité de leur offre touristique via 2 indices qui articulent des données sur les impacts économiques (consommation touristique pour 100 000 habitants), la compétitivité (taux d’occupation des chambres d’hôtel) et des éléments plus qualitatifs : qualité de l’accueil, diversification des activités touristiques, environnement naturel, santé, gouvernance du secteur…

Une quête de compétitivité pour le meilleur ?

Sources complémentaires :

L’attractivité de l’offre et la performance touristiques des nouvelles régions – Alliance 46.2, 2015

Les touristes... haaa !

…ou pour le pire ?

C’est en tout cas une question que l’on peut légitimement se poser en vis-à-vis de l’objectif du Ministère des affaires étrangères d’accueillir 100 millions de touristes étrangers par an d’ici à 2020 sur le territoire national (vs 84 millions en 2015).

Dans son rapport de 2017 « La fonction touristique des territoires : facteur de pression ou de préservation de l’environnement ? », le Ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer apporte quant à lui des éléments de réponse grâce notamment à l’utilisation du « taux de fonction touristique ». En rapportant le nombre de lits touristiques à la population résidente d’un territoire, cet indicateur permet de quantifier la multiplication théorique de la population en période d’afflux touristique et de classer ainsi les territoires en 5 catégories en fonction de leur « intensité touristique ». A travers ce prisme, plusieurs tendances ressortent.

Majoritairement situées en montagne et sur les littoraux, les zones ainsi définies comme les plus touristiques sont également celles qui ont vu leur capacité d’accueil le plus augmenter ces dernières années.  Ce qui explique en partie le fait qu’elles n’échappent pas à la dynamique actuelle d’artificialisation des sols constatée en France (+3% par an) malgré leur proximité avec des environnements naturels souvent protégés.

De façon plus générale elles sont soumises à une forte pression environnementale qui se concentre sur une courte période – 40% des nuitées touristiques ont lieu entre juillet et août. A titre d’exemple, dans les communes dont le taux de fonction touristique est le plus élevé (catégorie 5) la consommation d’eau par habitant est 3 fois plus élevée en période de vacances que la moyenne nationale. Ces communes consomment également plus d’énergie et génèrent plus de déchets par habitant.

In fine, l’auteure émet l’hypothèse d’une plus grande difficulté pour les territoires touristiques à respecter les objectifs nationaux fixés par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, et ce malgré le développement du tourisme durable, matérialisé par la multiplication des labels et des marques qui attirent un nombre croissant de vacanciers.

Pour un autre tourisme ?

Concilier enjeux économiques, sociaux et environnementaux serait pourtant possible – et nécessaire –  si l’on en croit cet avis du CESE de 2014 intitulé « Tourisme et développement durable en France » qui pose en contexte l’augmentation de la demande touristique et le fait qu’un tiers des français ne part pas en vacances. Le rapport contient 34 préconisations, qui entendent répondre à l’ensemble des enjeux identifiés (mais évitent ce faisant certains dilemmes). Il propose notamment :

  • de développer chez les professionnels la prise de conscience de la nécessité de ne pas dégrader les atouts touristiques environnementaux et culturels de leur région ;
  • d’offrir une alternative au tourisme de masse concentré sur certains territoires en valorisant le tourisme vert ou le « tourisme de nature » (à ne pas confondre avec le tourisme « dans la nature » qui n’est pas centré sur la valorisation et la préservation du capital naturel) ;
  • de développer un tourisme hors saison, sur l’ensemble du territoire et accessible à tous ;
  • de privilégier la mise aux normes des logements anciens pour permettre la croissance des capacités d’accueil plutôt que de construire de nouvelles infrastructures.

Constatant la prégnance de l’automobile dans les transports des touristes internationaux, le CESE plaide également pour l’avènement d’un réseau transeuropéen basé sur le train, qui pourrait s’articuler localement avec des pôles multimodaux (bus, aires de co-voiturage, trains intercités…). A l’échelle locale, il propose également la mise en place par les collectivités locales et les acteurs du tourisme d’itinéraires de tourisme pédestre et à vélo – accessibles depuis des stations de transport en commun – afin de réduire au minimum le recours à l’automobile.

Pour le CESE, le patrimoine touristique ne doit plus se limiter aux plages du littoral ou aux stations de haute montagne, et le déploiement d’une stratégie touristique ambitieuse, portée par les plus hautes instances de l’Etat pourrait être l’opportunité de développer d’autres formes de tourisme plus respectueuses de l’environnement, plus proches de la nature et des habitants. Et accessibles au plus grand nombre.

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