mars 2019

Caoutchouc cornélien

Alors que la filière du caoutchouc s’attend à une explosion de la demande dans les prochaines années, des étudiants de l’école d’ingénieurs CentraleSupélec nous proposent dans le cadre d’un partenariat avec Open Ressources un panorama des différents modes de production et de leur durabilité.

Le latex, une filière sur les chapeaux de roues

Le latex, sève blanche de l’arbre appelé « hévéa » et matière première du caoutchouc naturel, est produit à 80% en Asie du Sud-Est, plus particulièrement en Thaïlande et en Indonésie, dans l’immense majorité des cas par de petits producteurs locaux.

Du fait des caractéristiques très spéciales du caoutchouc, notamment d’élasticité, cette matière première est utilisée depuis la révolution industrielle dans de nombreux produits, allant du pneu à la courroie de transmission. Malgré la concurrence du caoutchouc synthétique fabriqué à base de pétrole, la demande est depuis quelques années en très forte hausse, et ce n’est pas fini : en vis-à-vis des 11 millions de tonnes produites en 2011, les prévisions font état de… dix-neuf millions en 2025 !

Des chercheurs des universités d’East Anglia et Sheffield au Royaume-Uni se sont penchés sur les principales raisons de cette forte croissance : il apparaît tout d’abord que l’instabilité chronique des prix du pétrole et donc du caoutchouc synthétique incite les industriels à revenir vers son homologue naturel, dont le prix est plus stable. La seconde explication est également d’ordre économique puisqu’elle réside dans l’explosion de la demande issue des pays en développement et tout particulièrement de la Chine.

Cette augmentation de plus de 8 millions de tonnes nécessite une augmentation de la surface de production estimée à 3 millions d’hectares supplémentaires, ce qui rend la situation comparable à la filière de l’huile de palme, emblématique de la déforestation en Asie du Sud-Est, avec laquelle elle est d’ailleurs en concurrence frontale. Un enjeu de taille donc.

Caoutchouc, caoutchouc, morne plaine

Si de prime abord, le remplacement du pétrole par le latex est une bonne nouvelle, les conséquences environnementales et sociétales de la multiplication des champs d’hévéas (souvent en monoculture) sont loin d’être négligeables.

Le rapport de l’ONG Greenpeace publié en 2018, dont le titre Le caoutchouc qui dévaste les forêts a le mérite d’être clair, documente les nombreux dommages collatéraux de l’exploitation de l’hévéa au Cameroun, dans une plantation de l’entreprise singapourienne Halcyon Agri, leader mondial du caoutchouc naturel.

Le premier d’entre eux, la déforestation, génère des impacts majeurs – et désormais reconnus – sur la faune et flore locale (ainsi que sur le climat). En 7 ans, l’entreprise a ainsi déboisé plus de 10 000 hectares, et le rythme continue de s’accélérer. Selon le rapport, la présence de forêts primaires semble n’être que peu prise en considération dans les rapports d’évaluation, et ce en dépit des protections légales dont elles font l’objet via la reconnaissance à « Haute Valeur de Conservation ».

Sur le plan social, le bilan est également très négatif : la monoculture d’hévéa entraine le déplacement de populations locales à cause de la perte des ressources alimentaires et la destruction des habitations. Il faut dire que le cadre légal camerounais protège très peu les populations autochtones, dont le fonctionnement n’est pas formalisé administrativement. Ces dernières se retrouvent donc sans aucune alternative pour reconstruire leurs vies.

En vis-à-vis, les bénéfices économiques liés à cette filière sont peu documentés par le rapport mais semblent essentiellement partagés entre l’entreprise singapourienne et des proches du gouvernement camerounais. Pour Greenpeace, cet entremêlement entre les pouvoirs qualifiés de « kleptocrates » et les investisseurs étrangers est un frein majeur au déploiement de filières responsables en Afrique.

La science au chevet du caoutchouc

Déforestation, détérioration des terrains, dégradation des conditions de vie des agriculteurs, concurrence avec la culture de l’huile de palme… les raisons de chercher une alternative à l’hévéa sont nombreuses.

À tel point que l’Union européenne a fondé le projet Production et Exploitation de Sources Alternatives de Caoutchouc et Latex (EU-PEARLS). Les chercheurs en charge de ce projet ont mis en lumière deux alternatives à l’hévéa scientifiquement et économiquement viables : le guayule et le pissenlit russe. Selon eux, ces deux plantes sont capables de produire un caoutchouc compatible avec son usage majoritaire, la fabrication de pneus.

Le pissenlit russe semble particulièrement intéressant. Tout d’abord, cette variété possède des avantages spécifiques puisqu’il permet la production de bioéthanol grâce à la présence de sucres fermentescibles. D’autre part, le rapport propose une analyse économique de la filière qui pourrait se développer, et, surprise, la culture du pissenlit russe permettrait d’élever le revenu brut des producteurs d’un peu moins de 1 200€/ha pour l’hévéa à plus de 2 000 €/ha.

Si tout n’est pas encore au point pour commercialiser cette plante providentielle, quelques projets pilotes laissent penser qu’elle est en pôle position pour permettre à la filière des pneumatiques de relever les défis qui l’attendent en matière de durabilité … même si rouler sur des pneus à base de plantes génétiquement modifiées pourrait ne pas plaire à tout le monde !

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