avril 2019

Le vin et ses (des)accords

Filière nationale s’il en est, dont le grand raout a lieu dans quelques jours à Bordeaux, la viticulture semble aujourd’hui être au carrefour de moult enjeux, en plus d’être celui du moût de raisin : santé publique, pollution, gouvernance, compétitivité, patrimoine national … bien malin qui saura résoudre l’équation de la place du vin aujourd’hui en France.

Quand le vin est tiré…

Comment évolue la filière du vin mondiale ? Quels sont les atouts de la filière française dans ce contexte ? Ses faiblesses ? Voici les questions auxquelles s’attaque ce document produit par le Haut Conseil de la Coopération Agricole (HCCA) en marge des Etats Généraux de l’Alimentation. Hétérogène dans ses sources comme dans son analyse, il permet néanmoins de reconstituer une vision globale du secteur du point de vue de la profession.

Premier constat : sous la relative stabilité de la consommation mondiale en volume (241 millions d’hectolitres en 2016 vs 226 en 2000 soit +6% sur la période) se cachent des dynamiques structurelles. Si la consommation des pays traditionnels (France, Italie, Espagne) baisse, celle des États-Unis, 1er consommateur mondial, ou de la Chine progresse. En vis-à-vis les territoires de production se multiplient : après les États-Unis, l’Argentine, ou l’Afrique du Sud dans les années 1980, il faut désormais compter avec les vins chinois et brésiliens.

Autre enseignement : le vin voyage de plus en plus (43% du vin consommé a traversé une frontière) et cette mondialisation entraîne une exigence croissante de compétitivité et de lisibilité des produits.

Dans ce paysage, la France reste le 1er exportateur mondial en valeur, et le deuxième producteur en volumes derrière l’Italie et devant l’Espagne, et ce malgré la baisse des surfaces et des rendements moyens plus faibles que ceux des nouveaux pays producteurs.

Pourtant les auteurs pointent le risque d’une perte de compétitivité, faute d’investissements suffisants de la part des coopératives et de marques d’envergure mondiale.

En conclusion, ils préconisent une plus forte présence sur le segment des vins sans indication géographique pour être plus compétitifs à l’export et alertent sur la nécessaire adaptation au changement climatique pour préserver les capacités productives – à condition qu’elle ne soit pas trop contraignante toutefois ! Ils recommandent enfin le développement de l’œnotourisme… ainsi qu’une une meilleure sensibilisation aux « bienfaits d’une consommation responsable ».

… faut-il le boire ?

La consommation de vin en France… un sujet de débat national dont la Cour des comptes s’est emparée dans le cadre de son rapport sur les politiques de lutte contre les consommations nocives d’alcool.

Ce document de 262 pages n’y va pas par quatre chemins : la consommation d’alcool, dont le vin, reste un problème de santé publique majeur dont les coûts menacent les finances de la nation.

Certes, la consommation des français a baissé, mais elle reste supérieure à celle des autres pays de l’OCDE, seulement dépassée par celle des Estoniens et des Lituaniens.  Et si les plus jeunes consomment moins, c’est de façon plus risquée, avec une augmentation préoccupante des alcoolisations ponctuelles importantes (API).

Dans le même temps, les dernières études sanitaires rappellent l’ampleur des dégâts : 49 000 morts par an (13% de la mortalité totale), 3,4 millions de consommateurs à risque ; l’alcool est également en cause dans 25 à 30 % des accidents mortels, et son influence dans les violences, notamment domestiques, est unanimement reconnue, quoique difficilement quantifiable. Des études qui démontrent par ailleurs que la frontière entre consommation à faible risque et consommation dangereuse s’avère difficile à établir, et questionnent de plus en plus fortement l’idée d’une consommation sans risque.

Dans ce contexte, le rapport pointe l’ambiguïté des institutions (entre intérêt sanitaire et économique), et l’inéquation des politiques actuelles. Il déplore également l’influence des groupes d’intérêt de l’alcool sur la législation, qui s’appuient notamment sur l’image culturelle du vin, sa valeur économique, et le besoin de soutenir la compétitivité des producteurs français.

En vis-à-vis, les auteurs montrent que d’autres pays comme la Norvège et la Suède ont réussi à baisser fortement les niveaux de consommation grâce à des politiques publiques abouties, qui incluent le contrôle de la vente, des mesures draconiennes (fermetures des lieux de vente à 20h, prison ferme pour les conducteurs contrôles à plus de 1,2 g/l…) et des outils de suivi épidémiologiques performants.

Ils concluent par l’urgence d’un plan ambitieux, porté au plus haut niveau de l’état et qui articulerait programme spécifique de lutte contre l’alcool, recherche pluriannuelle, révision des messages de prévention, meilleure règlementation de la distribution et de la publicité, et activation des leviers prix (fiscalité, prix minimum…).

Oh les bio vins !

Pour celles et ceux qui souhaitent malgré tout, et à leurs risques et périls, consommer du vin, y a-t-il des façons plus responsables que d’autres de le faire ?

Grâce à une nouvelle clientèle soucieuse de minimiser les impacts de sa consommation sur sa santé comme sur l’environnement, les vins bio sont en plein essor depuis quelques années.

Pourtant, ce mode de production n’est pas exempt de controverses. La plus courante concerne les traitements au cuivre de la vigne qui, au-delà de certaines doses, sont toxiques pour la micro-faune du sol et pourraient accentuer la sensibilité de la vigne aux bio-agresseurs.

Ainsi, suite aux recommandations de l’EFSA (European Food Safety), la commission européenne a voté en novembre 2018 une limite des doses de cuivre à 4 kg / ha / an lissés sur sept ans. Cette baisse de 2 kg par rapport à l’ancienne règlementation inquiète les viticulteurs bio qui disposent actuellement d’un arsenal très limité face au mildiou ou autres ravageurs.

Dans ce contexte, l’INRA a publié l’an dernier une expertise scientifique collective avec l’objectif de répondre à la question suivante : peut-on se passer du cuivre en protection des cultures biologiques ?

Ce rapport rappelle tout d’abord les disparités d’usage du cuivre suivant les régions (de 1,6 kg / ha / an en Alsace à plus de 6 kg en Occitanie ou en Champagne) et les années. Il liste ensuite les différentes pratiques alternatives existantes : biocides, utilisation des capacités de résistance des plantes et changements de pratiques, mais pointe leur dimension parcellaire et déplore le fait qu’elles ne forment généralement de systèmes de protection cohérents.

Et si quelques expérimentations pilotes sans produits cupriques semblent montrer des résultats équivalents à des systèmes basés sur le cuivre, leur généralisation supposerait le plus souvent un réaménagement de fond des systèmes de protection de la vigne contre ses agresseurs. Or cette reconception des systèmes nécessite des recherches qui ne sont pour l’instant pas à l’ordre du jour.

Au-delà, le rapport préconise de creuser les conséquences socio-économiques de tels changements et conclue sur une mise en parallèle avec les difficultés rencontrées pour passer de l’agriculture conventionnelle à l’agriculture biologique.

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