février 2019

Chroniques d’appellations non contrôlées

Alors que s’achève dans quelques jours le salon de l’agriculture 2019, nous nous sommes intéressés à trois produits emblématiques de nos terroirs : les escargots bourguignons, les galettes bretonnes et les herbes provençales.

Et devinez quoi ? Pour des raisons économiques ou écologiques, les trois ne sont aujourd’hui plus produits en France…

Escargots : à l’Est, du nouveau

Fleuron de la gastronomie tricolore par-delà même les frontières de l’Hexagone, l’escargot de Bourgogne n’a pourtant plus grand-chose de français… et ce depuis bientôt 1 siècle !

Cet article publié en 1999 dans Le courrier de l’environnement de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) nous apprend que dès les années 1930, les entreprises de transformation ont commencé à s’approvisionner en Suisse et en Allemagne. Aujourd’hui, sur les quelques milliers de tonnes d’escargots dits « de Bourgogne » consommés en France, la large majorité vient d’Europe de l’Est. Leur réputation ne tient plus en réalité qu’à la recette de beurre aillé « à la bourguignonne » avec laquelle ils sont préparés dans des ateliers en France.

En cherchant à comprendre les causes de l’essor de ces importations, l’auteure de cet article déconstruit l’argumentaire à la base de l’arrêté de 1979 du Ministère de l’environnement selon lequel la pénurie d’escargots en Bourgogne aurait été provoquée par des pratiques de ramassage sauvages et excessives. Au contraire, alors que l’autoconsommation était en net recul au milieu du 20ème siècle, elle révèle que ce sont la mécanisation et l’utilisation accrue de traitements dans les vignes bourguignonnes qui ont fortement dégradé les écosystèmes propices aux escargots. Également en cause dans la disparition des escargots, les désherbages intensifs, que ce soit aux abords des axes routiers ou dans les potagers individuels.

L’auteure conclut sur un enjeu cruellement d’actualité : en occultant les causes véritables de la disparition des escargots de Bourgogne, à savoir la dégradation des écosystèmes par les activités humaines, l’État ne répond pas l’enjeu de la préservation et de la conservation de l’environnement. Et encore moins au besoin croissant de sensibiliser le grand public à cet enjeu.

En quête de galette bretonne

Autre image d’Épinal à revoir, celle des galettes 100% « made in Brittany ». À la base de l’alimentation des bretons pendant des siècles, le blé noir a progressivement disparu au 20ème siècle : environ 5 000 ha dans toute la Bretagne en 2011, à comparer aux 120 000 ha pour la seule Ille-et-Vilaine en 1870. Dans les crêperies ou les supermarchés, les galettes sont désormais majoritairement produites à partir de sarrasin importé (Chine, Canada, Europe de l’Est…).

Dans le cadre de leur mémoire de fin d’étude, 6 étudiantes de l’Agrocampus de Rennes ont mené l’enquête auprès de différents acteurs (producteurs de sarrasin, coopératives, meuniers et fabricants de galettes) afin de comprendre les raisons de ce déclin. Selon leurs sources, le sarrasin a d’abord perdu du terrain parce que d’autres céréales, principalement le blé, se sont révélées plus intéressantes à produire : rendements plus prévisibles, cours plus avantageux, moins de contraintes sanitaires…

En parallèle, le sarrasin importé s’avère bien moins cher que son équivalent breton. Et si la traçabilité et les normes sanitaires sont parfois incertaines, notamment lorsqu’il vient de Chine, sa qualité homogène et son goût plus neutre l’avantagent au niveau industriel.

Enfin, les consommateurs ne s’imaginent tout simplement pas que le sarrasin de leurs galettes ne soit pas breton… Une opinion erronée en partie liée à la complexité des labels et autres signes distinctifs sur les packagings ou les cartes de restaurants.

Pour les acteurs de la filière, il est pourtant possible de changer la donne et de surfer sur la tendance actuelle des produits locaux : il faudrait pour cela un travail sur les variétés – les dernières datent des années 50 – notamment pour proposer des alternatives en matière de goût, une implication plus forte des fabricants de galette, et surtout une meilleure information auprès des consommateurs.

À quoi ça sert que la Provence se décarcasse ?

Autre produit emblématique du terroir français : les herbes de Provence.

C’est dans les années 1970 que la maison Ducros et ses confrères ont lancé cette formule pour redynamiser la culture provençale de thym, romarin, origan et sarriette, les 4 ingrédients de base du célèbre mélange. Avec un véritable succès à la clé : chaque année, les français en consomment près de 500 tonnes.

Seul hic : 90% des herbes de Provence que nous consommons ne sont pas produites dans le Sud de la France, mais en Europe de l’Est et en Afrique du Nord selon ce rapport de FranceAgriMer paru en 2011. Il montre, chiffres à l’appui, que notre production locale est bien trop onéreuse en comparaison des principaux concurrents à bas prix sur le marché mondial. Désormais, le thym que nous consommons vient majoritairement de Pologne, l’origan de Turquie, le romarin du Maroc et de Tunisie et la sarriette d’Albanie.

Comment remédier à cette situation ? En 2003, un cahier des charges Label Rouge « Herbes de Provence » a vu le jour. Mis au point par l’association interprofessionnelle qui regroupe les producteurs, transformateurs et distributeurs de plantes aromatiques, il a permis une montée en qualité du produit et a suscité un fort engouement de la part des consommateurs… Mais il n’a aucune exigence sur la provenance des ingrédients : seule obligation, celle d’apposer la mention « produit d’importation » sur les emballages si les plantes ne sont pas totalement cultivées et élaborées en France. Le chemin est encore long avant d’aboutir à la transparence minimale que le consommateur est en droit d’exiger.

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