Avant la retraite
A l’heure où les conditions de vie des futurs retraités occupent le devant de l’actualité, il nous a semblé intéressant de revenir aux conditions de travail actuelles et futures des salariés en France… les secondes conditionnant en partie les premières.
Dernières nouvelles du front (du travail)
Depuis 1978, des enquêtes nationales sur les conditions de travail en France ont lieu tous les 3 ans à la demande du Ministère du travail. Incluant une fois sur deux un volet additionnel sur les risques psychosociaux, elles permettent de dégager des tendances sur les ressentis des salariés et des employeurs.
De la dernière publication en date, il ressort que si l’intensité du travail en France (rythme, difficulté des objectifs) est dans la moyenne des autres pays de l’Union Européenne, les déficits d’autonomie, les exigences émotionnelles (obligation de sourire, d’être de bonne humeur…) et les conflits de valeurs seraient en revanche plus importants qu’ailleurs.
En termes de tendances, l’enquête relève un certain nombre de points positifs : au-delà du fait que l’intensité du travail s’est stabilisée entre 2013 et 2016 (après avoir augmenté les années précédentes), les répondants sont moins nombreux à déclarer devoir se dépêcher et penser à trop de choses à la fois dans leur quotidien, et plus nombreux à apprendre des choses nouvelles.
Davantage de salariés bénéficient de 48h de repos hebdomadaires, connaissent leurs horaires à l’avance et peuvent s’arranger avec leurs collègues.
Enfin le sentiment de reconnaissance s’améliore et les situations de violence morale – bien qu’encore fréquentes (30% des répondants) – diminuent.
A contrario, elle révèle une augmentation des contraintes de vigilance (le fait de ne pas pouvoir quitter son travail des yeux), du travail dans l’urgence, et de la dimension répétitive des tâches.
Autre point saillant : la diminution de l’autonomie des salariés qui va de pair avec le développement des normes et standards.
Surtout, les catégories de la population les plus concernées par ces dégradations (ouvriers non qualifiés, intérimaires, travailleurs à temps partiels, sans oublier les femmes de façon générale) sont aussi souvent celles qui ne bénéficient pas des améliorations citées plus haut…
Modernes servitudes
… Alors, inégalitaire, le travail en France ? C’est en tout cas ce que semblent confirmer différentes publications de l’Observatoire des inégalités.
Si les salariés sont globalement mieux protégés qu’avant face aux différents risques professionnels, la pénibilité du travail reste une réalité inéquitablement partagée : le travail automatisé, qui contraint les salariés en termes de rythme ou de gestes, a presque doublé entre 1984 et 2016 (6,8% vs 12,4%) et concerne principalement les ouvriers (un tiers d’entre eux) alors que ce type de tâche est quasiment inexistante chez les cadres.
Constat identique en ce qui concerne la pénibilité physique (postures pénibles, charges lourdes, vibrations…), le bruit, et les nuisances liées à l’environnement comme les poussières ou les produits dangereux : les ouvriers sont majoritairement touchés – souvent aux environs des 2/3 – à l’inverse des cadres qui sont entre 5 et 13% à se déclarer concernés suivant les items.
Les inégalités se retrouvent également autour de la question du temps de travail. Selon le directeur de l’Observatoire des inégalités, Louis Maurin, ceux qui maîtrisent leur temps de travail sont ceux qui occupent les emplois les moins pénibles et disposent des revenus suffisants pour profiter de leur temps libre. En vis-à-vis, des millions d’actifs subissent leur rythme de travail et leurs horaires.
Ainsi, la majorité des personnes qui travaillent à temps partiel, et sont en premier lieu des femmes, le font faute d’emplois à temps plein. La flexibilité contrainte des horaires – comme le travail dominical par exemple – concerne de plus en plus de personnes et impacte leur qualité de vie sur le long terme. Et si seulement 12% de salariés ont un contrat précaire, ce pourcentage monte à 25% pour les ouvriers non qualifiés et à 52% pour les 15-24 ans. Or les contrats d’intérim comme les CDD empêchent souvent toute projection et rendent plus difficile l’accès au logement ou les départs en vacances.
En conclusion de son article, Louis Maurin dénonce un système dans lequel une minorité a la capacité d’acheter le temps de travail d’une armée de flexibles qui fait tourner l’économie et exerce les tâches les plus ingrates, en entreprise comme à la maison. Ou comment « une économie de services s’est transformée en économie de serviteurs ».
Source complémentaire:
Les maîtres du temps prospèrent grâce aux flexibles – Observatoire des inégalités, mai 2018
Des lendemains qui chantent ?
Dans quelle mesure les évolutions technologiques vont-elles améliorer le sort des travailleurs français dans les prochaines décennies? Les réponses sont contrastées sachant que, selon les sources, la disparition potentielle des emplois associée à ces évolutions varie de 10 à 40% sur le périmètre européen.
Une synthèse publiée par le Conseil d’orientation pour l’emploi (COE) en 2017 s’attarde plus spécifiquement sur l’ambivalence des impacts de l’automatisation et la numérisation des emplois sur les conditions de travail : éclatement des configurations spatio-temporelles traditionnelles, intensification de la collaboration interne et externe mais développement et sophistication des moyens de contrôle, baisse des contraintes physiques mais augmentation des contraintes psychiques…
Particulièrement neutre, la conclusion liste les effets potentiels sous forme de risques et opportunités et met l’accent sur le besoin de dialogue social pour permettre une bonne appropriation collective des enjeux, l’identification des métiers et compétences de demain, et le traitement des questions d’ordre déontologique.
Autre son de cloche, plus alarmiste celui-ci : intensification du travail, compartimentation de la production, morcellement des tâches… pour Bruno Teboul, membre de la chaire Data Scientist de l’Ecole Polytechnique, les technologies numériques et l’automatisation imposent de repenser fondamentalement le travail.
Certes, il fait état des opportunités liées aux nouveaux métiers dans des secteurs comme les big data, la médecine (imagerie, génomique…) ou encore les professions juridiques qui devront s’adapter aux conséquences de la robotique sur le travail et les travailleurs.
Mais l’auteur prédit surtout l’avènement du « robotariat », au cours duquel les emplois peu qualifiés seront remplacés par des machines intelligentes ; soit la fin du prolétariat humain, avec à la clé un chômage massif et le besoin de former les profils les plus diplômés qui gèreront les machines.
Face à cette évolution qui n’épargnera pas les classes moyennes et dans un contexte de disparition progressive du CDI, Bruno Teboul prône la mise en place d’un revenu d’existence. Cumulable avec le travail intermittent ou salarié et fixé autour de 1000 euros par mois, il permettrait de protéger en partie les travailleurs du numérique ubérisé.
Source complémentaire: