Bio et environnement : alors ?
Particulièrement sensible aux effets du changement climatique, mais aussi responsable d’une grande partie des émissions de gaz à effet de serre, la production alimentaire est considérée comme un secteur clé pour les problématiques environnementales.
Face à ce constat, l’alimentation durable représente une solution possible. Pourtant, parmi les principales alternatives, l’agriculture biologique est questionnée sur sa capacité à répondre aux différents enjeux environnementaux, à commencer par celui du changement climatique.
Petit tour d’horizon sur le tandem bio-environnement pour y voir plus clair…
Le bio perdant sur l’empreinte carbone…
Consommer des produits bio est souvent considéré comme étant de facto meilleur pour l’environnement que de consommer des produits « conventionnels ». Pourtant, les études comparatives ne sont pas si nombreuses.
D’où l’intérêt de ce rapport scientifique de Treu et al. publié en 2017, qui s’est concentré sur les empreintes carbone et spatiale liées à la consommation de produits bio en Allemagne. En croisant des données de consommation et des résultats d’analyse de ce cycle de vie, les auteurs concluent notamment que :
- Les émissions de gaz à effet de serre du régime conventionnel et du régime bio sont sensiblement les mêmes : environ 1250 kg CO2 eq par personne et par an,
- L’empreinte au sol d’un régime bio est plus importante d’environ 40%.
Des résultats à manipuler avec précaution car en partie dus aux différences de régimes alimentaires entre consommateurs de produits bio et consommateurs de produits conventionnels. En effet, les premiers consomment moins de viande et plus de légumes que les seconds, et ces produits génèrent des impacts différents – sur le climat comme sur les sols – indépendamment de leur caractère bio ou non bio.
Autre limite mentionnée par les auteurs : la non prise en compte des émissions liées au changement d’utilisation des sols. Or la transformation en surfaces agricoles de terrains non agricoles (forêts, friches) libère une partie du carbone séquestré par les sols, ce qui devrait entrer dans le calcul des émissions de gaz à effet de serre, en bio comme en conventionnel.
Mais alors que ce type d’émissions restait peu étudié jusqu’à présent, un rapport récent propose une nouvelle méthode pour les quantifier. Les auteurs concluent notamment que l’impact carbone lié à la transformation de terrains en surfaces agricole est souvent sous-estimé, au désavantage de l’agriculture biologique qui nécessite plus de surface pour produire les mêmes volumes que l’agriculture conventionnelle.
Ces recherches contribuent ainsi à l’émergence d’un paradoxe : souvent perçue comme une des solutions aux enjeux environnementaux actuels, l’agriculture biologique générerait pourtant plus d’émissions de gaz à effet de serre que l’agriculture conventionnelle.
Mais cette thèse récemment médiatisée n’est pas forcément alignée avec d’autres résultats issus de la recherche.
…ou gagnant selon l’indicateur utilisé
En 2016, l’Institut technique de l’agriculture biologique (ITAB) et l’Institut national de recherche en agronomie (INRA) ont publié un état des lieux de la recherche sur les impacts environnementaux et socio-économiques de l’agriculture biologique, dans l’objectif de quantifier et monétariser ces différents impacts.
Or sur la question des émissions de gaz à effet de serre, les auteurs apportent des éléments différents de ceux identifiés dans la chronique précédente. Tout d’abord, selon eux, il n’est pas possible en l’état de quantifier les émissions liées à un changement d’usage des terres. Ils identifient en revanche une plus forte séquestration du carbone dans les sols dans le cas de l’agriculture biologique, notamment liée à l’utilisation des prairies induite par le cahier des charges correspondant. Ils pointent également les surplus d’émissions de protoxyde d’azote et de dioxyde de carbone de l’agriculture conventionnelle dus à l’usage d’engrais azotés, tout en notant que les différences sont moins évidentes concernant les émissions de méthane.
Au global, et malgré la grande variabilité des situations et des estimations, le rapport fait état d’un meilleur bilan gaz à effet de serre net (émissions brutes de CO2 moins le CO2 séquestré dans les sols) pour l’agriculture biologique.
Une différence d’analyse par rapport à l’étude précédente qui s’explique pour partie par les différences d’unités fonctionnelles utilisées : alors que cette étude évalue les impacts par hectare, il est assez commun, comme dans le cas du rapport précédent (Treu et al.), de les rapporter par kg de produit. Or, les résultats et les interprétations varient en fonction de l’unité adoptée : par exemple, l’impact carbone de l’agriculture biologique semble supérieur à celui de l’agriculture conventionnelle lorsqu’on le ramène à un kilo produit, mais inférieur si on le ramène à la surface exploitée. Ce qui s’explique par les différences de rendements entre les deux modes de production.
Plus largement, les auteurs concluent sur l’importance de prendre en compte l’ensemble des impacts plutôt que de se focaliser sur un critère particulier (par exemple les émissions de gaz à effet de serre), afin de pouvoir dégager une analyse et des réponses systémiques face aux enjeux environnementaux.
L’empreinte carbone : un impact parmi d’autres
Systémique, c’est en l’occurrence le qualificatif adapté pour cette méta-étude de 2017 de Seufert et Ramankutty dont l’analyse comparative de type coûts-bénéfices entre bio et conventionnel a nécessité une approche multi-dimensionnelle des impacts (production, environnement, effets sur les producteurs et les consommateurs). L’objectif : identifier dans quels cas, et dans quelle mesure, l’agriculture biologique génère des différences d’impacts, ainsi que les leviers d’amélioration des performances de ce système de production.
Les résultats éclairent et nuancent certains débats actuels : par exemple, si les études confirment des rendements généralement plus bas pour la bio (20 à 25% en moyenne, hors élevage), c’est notamment parce qu’elles se focalisent sur les rendements d’une seule culture par surface exploitée. Dans le cas de rotations des cultures, elles ne prennent donc pas en compte l’ensemble des productions, ce qui aboutit à une sous-estimation de la production globale des parcelles concernées sur une période donnée.
Les auteurs notent également que les variations d’impacts sont parfois davantage liées aux régions étudiées ou à l’intensivité des pratiques qu’à la seule caractéristique bio ou non bio.
En conclusion, cette méta-étude conforte certains bénéfices associés à l’agriculture biologique : moindre toxicité des pesticides bio, meilleure préservation de la biodiversité et de la richesse des sols, profitabilité supérieure pour les producteurs…
Mais elle questionne également la recherche sur l’agriculture biologique – essentiellement conduite en Amérique du Nord et en Europe alors que les trois quarts des producteurs en agriculture biologique vivent dans des pays à faibles revenus – et suggère des travaux complémentaires sur des sujets controversés (impacts nutritionnels…) ou pour mieux quantifier certains impacts (émissions de protoxyde d’azote, emplois agricoles, érosion des sols, utilisation de l’eau…).
Ce qui permettrait in fine une meilleure identification des « best practices » et renforcerait le rôle de l’agriculture biologique dans la transition écologique et sociale de l’alimentation.