mai 2018

Déclin des abeilles et pollinisateurs : de quoi parle-t-on ?

Il y a quelques jours les députés ont refusé d’inscrire l’interdiction du glyphosate dans la loi sur l’agriculture et l’alimentation. Une décision qui relance le débat sur les pesticides et leurs impacts, alors que les apiculteurs viennent de subir des pertes massives cet hiver.

…Et l’occasion pour nous de revenir sur les différents enjeux liés aux pollinisateurs.

Plaidoyer pour les pollinisateurs

Au-delà des abeilles, la pollinisation animale implique d’autres espèces comme les bourdons, les mouches, les papillons, certains oiseaux ou encore les chauves-souris. Ensemble, ces pollinisateurs assurent la reproduction de près de 90% des plantes sauvages et 35% de la production vivrière mondiale. De leur activité dépend également la production de certains médicaments, biocarburants, matériaux de construction, ou fibres comme le coton ou le lin.

Basé sur plus de 3 000 publications scientifiques, le résumé de l’IPBES, une plate-forme intergouvernementale d’experts de la biodiversité, sur la pollinisation et l’alimentation humaine, alerte sur le déclin des pollinisateurs,  (certaines espèces d’abeilles et de papillons sont fortement menacées) alors que la production de cultures dépendant de ces derniers a augmenté de 300% ces cinquante dernières années.

Pesticides, mais aussi changement d’usage des terres, agriculture intensive, agents pathogènes liés aux élevages intensifs d’abeilles, réchauffement climatique… Selon les auteurs les causes sont multiples et se combinent, ce qui rend difficile l’isolation d’un facteur particulier. Pour inverser la tendance, ils plaident donc pour un ensemble de mesures qui va de la création de parcelles de végétation non cultivées à la mise en place d’outils de suivi des populations de pollinisateurs en passant par le soutien aux systèmes agricoles diversifiés.

Les abeilles, c'est bon pour la santé !

Il est d’autant plus important d’agir vite que l’activité des pollinisateurs animaux a des impacts directs et conséquents sur la santé humaine.

Premier du genre, cet article de The Lancet, une revue scientifique médicale britannique, s’appuie sur une modélisation des liens entre pollinisation et régimes alimentaires à l’échelle mondiale et leurs apports en micronutriments (vitamine A et acide folique notamment). En effet, les carences en fruits, légumes, noix et graines entrainent une prévalence de certaines maladies chroniques, tandis que le manque de vitamine A et d’acide folique sont respectivement associés à des risques supplémentaires de maladies oculaires ou de diarrhées pour la première et de malformations congénitales pour le second.

En cas de disparition complète des pollinisateurs, 71 millions de personnes supplémentaires seraient carencées en vitamine A et 173 millions le seraient en acide folique. Plus largement, cette disparition causerait 1,4 millions de morts supplémentaires par an et impacterait l’espérance de vie en bonne santé à cause d’une augmentation des maladies chroniques ou de la malnutrition suivant les régions du globe.

Le verrou de Bruxelles

Comment faire pour changer la donne ? Le rôle des pesticides est clairement pointé par les études actuelles. Dès lors, leur (non) usage constitue un enjeu clé pour le futur des pollinisateurs. A l’échelle de l’Europe, le débat est ouvert depuis quelques années, la France se distinguant par la décision d’interdire les néonicotinoïdes à partir de septembre 2018 (avec des exceptions possibles cependant).

Dans ce contexte, le dernier rapport de Pesticide Action Network Europe, un réseau intergouvernemental luttant contre l’utilisation de pesticides, vient éclairer la façon dont les méthodologies d’évaluation des risques sanitaires liés aux pesticides sont élaborées et validées. Rappelant opportunément des concepts clés comme « human relevance » (pertinence au regard de l’être humain) ou « margin of exposure » (marge d’exposition), il dénonce une mainmise de l’industrie : 92 % des méthodologies d’évaluations d’impacts utilisées par l’Union Européenne auraient ainsi été influencées d’une manière ou d’une autre par leur lobby, suite à quoi l’EFSA (European Food Safety Authority) aurait permis la mise en marché de produits avérés toxiques ou cancérigènes sur des animaux sans aucune expérimentation réelle de leur innocuité.

Les auteurs soulignent également l’absence systématique de peer review par des chercheurs indépendants, l’omniprésence du conflit d’intérêt dans les agences d’évaluation, et demandent une révision des méthodologies d’évaluation par des experts scientifiques totalement indépendants, seule solution pour préserver l’intérêt général… et la survie des pollinisateurs.

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