Derrière les fûts de bière
Qui dit Octobre dit désormais Oktoberfest, la fameuse fête de la bière allemande, de plus en plus célébrée en France. Quoi de mieux en effet pour ravir les étudiants assoiffés par ces grandes chaleurs de début d’année scolaire. Mais à qui profitent in fine ces flots de bière ? Et quels en sont les impacts sur l’environnement ? Quelques éléments de réponse dans notre recherche biblio du mois.
Quand une infinité est égale à 3
Derrière 500 des multiples marques de bière qui débordent de nos rayons de supermarchés se cachent en réalité trois multinationales, AB InBev (Stella, Leffe…), Heineken (Affligem, Pelforth…) et Carlsberg (1664, Kronenbourg…) qui en 2016 vendaient la moitié des volumes et représentaient près des ¾ de la valeur du marché mondial.
Comment en est-on arrivé là ? Un chercheur de l’université du Michigan a investigué les tenants et aboutissants de cette concentration de l’industrie de la bière.
Selon ses recherches, la concentration remonte aux innovations technologiques de la fin du 18ème siècle : la pasteurisation, le développement des voies de chemin de fer ont permis à la bière de circuler entre les frontières. L’avantage concurrentiel qui se jouait jusqu’alors sur la proximité avec le marché de consommation s’est peu à peu déporté sur la capacité à gérer et optimiser les flux logistiques importants. Or, sur ce terrain, les grandes multinationales sont plus compétitives que les PME locales, ce qui leur a permis années après années d’enrichir leur portefeuille de marques aux quatre coins du monde.
Une concentration synonyme de… standardisation ? Peut-être bien si on en croit l’auteur du rapport. Ce dernier relève à la fois une baisse de qualité significative, mais surtout une perte de diversité : il en veut pour preuve l’incapacité des consommateurs à distinguer à l’aveugle les bières pale lager entre elles, alors même que celles-ci revendiquent chacune leur unicité. La consommation mondiale de ces bières standardisées augmente et avec elle les impacts environnementaux.
Verre, acier, aluminium : qui sera le maillon faible ?
En effet, pas sûr que l’adage « Une petite bière, ça ne peut pas faire de mal. » s’applique à l’environnement. En s’appuyant sur des ACV (Analyse de cycle de vie), deux chercheurs de l’université de Manchester ont en effet pu estimer les différents impacts environnementaux associés à la production et à la consommation de bière au Royaume-Uni, et les résultats sont éloquents puisque la consommation annuelle de bière représenterait près de 1% des émissions de CO2 du pays !
Mais au-delà des ordres de grandeur, ce travail a également permis d’identifier les principales causes de ces impacts.
Médaille d’argent : les matières premières, contribuant à environ un tiers du potentiel de réchauffement global (PRG) dû à la consommation de bière. Rappelons que pour faire de la bière il faut du malt d’orge, du dioxyde de carbone, de la levure, du houblon et de l’eau. Parmi ces matières premières, la plus impactante est le malt d’orge, dont la production puis la transformation émettent de l’oxyde d’azote, polluant aérien fortement associé à l’effet de serre.
Médaille d’or : le packaging, qui représente de 35% à 55% du PRG selon le contenant. Différents contenants ont été comparés : les cannettes, qui représentent 72% de la consommation de supermarché au Royaume-Uni (90% étant faites d’aluminium, le reste d’acier) et les bouteilles en verre à usage unique. Résultats : pour un usage unique, le verre, malgré son taux de recyclage plus élevé, a le moins bon bilan environnemental. Un litre de bière contenu dans une bouteille en verre a un PRG de 842 gCO2 eq et nécessite 17.5 MJ d’énergie primaire (soit 4.7 kWh), tandis que les cannettes, aluminium et acier confondus, ont un PRP de 530 gCO2 eq et une demande d’énergie primaire de 10.8 MJ (soit 2.8 kWh). Si le verre est le grand perdant pour une majorité des impacts étudiés (énergie primaire, potentiel d’acidification, eutrophisation…), notamment en raison d’un mauvais ratio entre le poids de la bouteille et le volume de bière contenu, il reste néanmoins la meilleure option pour l’indicateur de toxicité humaine.
Bières artisanales, bio, en consigne... qui dit mieux ?
Concentration du marché, différents impacts environnementaux… nous l’avons vu les problématiques associées à la production et la consommation de bière sont multiples. Il existe pourtant des alternatives.
Face à la concentration du marché international, de nombreuses brasseries artisanales se sont développées, notamment en Europe qui en compte plus de 8 000 en 2017. Cela peut paraître un grand pas pour l’Europe, mais ça n’en est qu’un demi : comme l’indique Hubert Mouton dans son mémoire de fin d’étude à l’université libre de Bruxelles, le nombre de microbrasseries belges en 2017 reste 17 fois inférieur à celui de 1900. Soulignons que cet essor a tout de même permis une certaine déstandardisation de la bière : en France par exemple, la définition légale de la bière a été modifiée afin de favoriser le développement des brasseries artisanales dont les produits peuvent dorénavant contenir moins de 50% de malt.
Pour répondre aux enjeux environnementaux associés à la production des matières premières, certaines brasseries ont décidé de produire des bières bio, ce qui leur permet également de se faire une place sur un nouveau segment du marché. H. Mouton a comparé les ACV de deux bières artisanales belges bio et non bio. Si la bière biologique a effectivement un bien meilleur bilan environnemental (écosystèmes, santé humaine, ressources), il ne s’agit pas d’une solution miracle : la bière bio engendre plus d’émissions de gaz à effet de serre (GES) par exemple, notamment du fait de l’utilisation du sucre de canne bio provenant de l’autre bout de la planète.
De plus, les brasseries artisanales bio omettent souvent de s’attaquer à la question du packaging, première cause d’impact environnemental de la bière. Pourtant, des solutions existent : réutiliser une bouteille en verre améliore nettement son bilan par rapport à tous les autres types de contenants à usage unique. Des spécialistes ont comparé l’ACV d’une bouteille en verre consignée et à celle d’une bouteille à usage unique. Même avec des hypothèses favorables à la bouteille à usage unique (palettisation, recyclage du verre, etc.), son bilan environnemental reste nettement moins bon que celui de la bouteille consignée, car la consigne réduit au minimum de moitié les impacts étudiés, notamment les émissions de GES, l’acidification de l’air et l’énergie primaire.
Mais si l’on observe un développement des brasserie artisanales et bio en France ces dernières années, la mise en place de la consigne ne semble pas à l’ordre du jour malgré l’exemple de nos voisins belges et allemands.
Finalement, la meilleure solution pour diminuer les différents impacts de notre consommation de bière ne serait-elle pas de réduire la pression ?
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